Visages 2023
pastel sur papier
(…) et le pinceau s’approche à nouveau et s’arrête sur le visage qui surgit, le visage qui est celui du peintre. L’inouï de cette série tient justement à ce qu’on oublie (on n’imagine pas) qu’il s’agisse d’un autoportrait tant la peintre est parvenue à s’oublier elle-même. Ce qu’elle peint ce n’est pas elle-même, c’est le visage qu’elle porte, j’oserai dire son âme et non pas pour en montrer ce qu’il a de propre, mais pour révéler ce qui la caractérise en tant qu’âme. Il y a le feu dévorant des yeux, une forme de certitude existentielle : qui pourrait croire ce visage conscient de sa mortalité ? On dirait même l’inverse : voici un visage qui ignore ce que signifie la mortalité. Depuis ce tableau, il m’est arrivé dans mes rencontres d’imaginer un pareil visage derrière celui qui me faisait face. Ou encore, de supposer que le végétal ou le minéral voyaient l’homme avec ce visage où se rassemblent le sérieux de l’enfance, l’inappaisement, la confiance, la grandeur, le tragique, la fragilité suprême. Il m’est arrivé d’aller me coucher en regardant une dernière fois ce tableau pour me dire : « Je suis cet existant ».
Pierrick de Chermont
Le mystère de la présence
paru dans la revue Possible, juin 2024