Entretien avec Anne-Claire de Poulpiquet
dans le cadre des Nuits de la lecture 2025
conjointement à l’exposition Ouvrir les failles, Espace Andrée Chedid, Issy-les-Moulineaux
Pierrick de Chermont
Le mystère de la présence
Article paru dans la revue Possibles n°32, juin 2024
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Visage. Me voici en face du tableau. Il me regarde bien plus que je le regarde. Je me souviens avoir parcouru la succession de tableaux qui aboutit à ce motif du visage. Au départ un centre au milieu d’un aplat de couleurs, puis un grossissement et apparaît un funambule entre deux tours ; et le pinceau s’approche à nouveau et s’arrête sur le visage qui surgit, le visage qui est celui du peintre. L’inouï de cette série tient justement à ce qu’on oublie (on n’imagine pas) qu’il s’agisse d’un autoportrait tant la peintre est parvenue à s’oublier elle-même. Ce qu’elle peint ce n’est pas elle-même, c’est le visage qu’elle porte, j’oserai dire son âme et non pas pour en montrer ce qu’il a de propre, mais pour révéler ce qui la caractérise en tant qu’âme. Il y a le feu dévorant des yeux, une forme de certitude existentielle : qui pourrait croire ce visage conscient de sa mortalité ? On dirait même l’inverse : voici un visage qui ignore ce que signifie la mortalité. Depuis ce tableau, il m’est arrivé dans mes rencontres d’imaginer un pareil visage derrière celui qui me faisait face. Ou encore, de supposer que le végétal ou le minéral voyaient l’homme avec ce visage où se rassemblent le sérieux de l’enfance, l’inappaisement, la confiance, la grandeur, le tragique, la fragilité suprême. Il m’est arrivé d’aller me coucher en regardant une dernière fois ce tableau pour me dire : « Je suis cet existant ».
Artist Talk
Présentation, en direct de l’atelier
Janvier 2023
Jeanne Gatard
Exposition Jean-Marc Pigeon – Marjolaine Pigeon
Le temps du regard
Hôpital Paul Brousse, Villejuif, 2022
Du temps et des vagues, bois flottés polis par le ressac,
venus de la mer, il fait des reliquaires de mer.
Architecte, il construit des hôpitaux.
Le père et la fille marchent sur les sables
y prennent le sacré de la lumière.
Peintre, elle connaît l’urgence des couleurs des mers
la déchirure de l’horizon qui donne et reprend le soleil.
Bernadette Engel-Roux
2011
Silencieusement, comme se déplie la fleur, s’élance l’arbre, s’enivre l’oiseau, s’embrase l’étoile, s’exalte l’enfant, s’approfondit l’espace, ainsi s’ouvre le cœur aux vibrations de la présence.
Silencieuse la main, de l’encre à l’huile, du papier à la toile, qui figure l’ouverture infinie. Ouvert est l’espace de Marjolaine Pigeon, poreux, vibrant, éclairé. Ouvert cet espace où est saisi l’instant tremblé de l’expérience exaltante, profonde, grave, où l’oiseau traverse le cœur embrasé de l’étoile, où l’enfant, prêt au bond, atteint la frange lumineuse du domaine, ou le cœur assemblé s’ouvre au don sans limite, où le voile offre en transparence la troublante certitude de la lumière.
Que s’ouvre notre regard à cette contemplation.
Maxime Deurbergue
Revue Conférence n°24
Printemps 2007
(…) Trop habitué, peut-être, à ce flamboiement sourd des retables dans la pénombre des églises, à leur tranquille permanence, je suis parfois resté songeur devant ce volatile papier japon des Ciels et des Vies, si fragile en vérité que j’avais du mal à croire qu’il ait subi l’étreinte de la presse ou bu l’huile comme une encre. Léger papier japon, si peu fait, à l’évidence, pour traverser les siècles ! Pourtant j’entends encore Marjolaine, fière d’une exposition où ses huiles bruissaient de courants d’air : se peut-il que le vent, avec le consentement du peintre, vienne habiter l’œuvre d’art, souffler à travers elle et murmurer, la tournant comme une page, que les instants qu’elle fige sont passibles, loin de l’éternité — de simples prodiges d’équilibre, de brèves hésitations dans la bascule du temps ? (…)
Jean Manuel Bonet
Catalogue d’exposition
Casa Velazquez, 2005
Marjolaine Pigeon, ou le silence.
Ses dessins comme ses gravures nous signalent ce que nous savons au moins depuis Giacometti : dans ces domaines, le blanc du papier est aussi important que la ligne. C’est de ce blanc qu’émergent – Emergence, résurgences : ce titre d’Henri Michaux m’a toujours tellement plu – les mouvements, les traits, les signes qui du tumulte du monde ont été choisis par l’artiste pour ses entrevisions.
Avec très peu d’éléments et beaucoup de travail de gomme, Marjolaine Pigeon, formée à l’Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs, sait évoquer dans ses carnets de voyage à la japonaise, dont certains mériteraient d’être édités sous forme de fac-similés, le vol d’un oiseau s’ouvrant un chemin dans les airs, le vent sur la meseta castillane qui entoure Madrid, un horizon marin, le marbre de Venise barbotant dans l’eau, une vue panoramique des quais de New York avec ses mouettes survolant les navires et les gratte-ciel, des visages, encore des visages …
Salah Stétié
Catalogue de l’exposition Marjolaine Pigeon
Institut français de Séville, 2004
Histoire d’air
Marjolaine Pigeon a des doigts de fées. D’une fée qui dessine et qui grave. Cela donne des lignes, parfois impalpables, des noces diaphanes entre le clair et l’obscur.
Les objets saisis au piège de ces lignes et de ces espaces comme immatériels ne sont là, surpris par notre regard, que pour tenter de s’échapper aussitôt, nous laissant en frémissements ductiles et sensibles leur toile d’araignée. Ils ne sont saisis que pour mieux souligner le pouvoir qui est le leur de nous dessaisir d’eux, de nous priver de ce qui pourrait les constituer en substance, cela au profit de leur secret aérien.
Il y a de l’air dans les êtres et les choses. L’art des fées, le talent de Marjolaine Pigeon est, avec une décision ardente et douce, de rendre visible le fil d’air qui nous tient.